jeudi 3 mars 2011

Abidjan se prépare à l’affrontement

03/03/2011 17:24

Les exactions commises par des milices pro-Gbagbo se multiplient dans la capitale ivoirienne

Des femmes manifestent contre Gbagbo  dans une ville voisine d'Abidjan, le lundi 28 février.(AP/Rebecca Blackwell)

Jeudi 3 mars, des femmes avaient décidé de marcher dans plusieurs quartiers d’Abidjan pour protester. « À Abobo, la police favorable à Laurent Gbagbo a tiré sur ces femmes aux mains nues. Elle a tué au moins six d’entre elles », explique Ibrahim.

Il est l’un de ces partisans d’Alassane Ouattara, reconnu vainqueur de l’élection présidentielle par la communauté internationale. Depuis le second tour, le 28 novembre 2010, Ibrahim vit caché, animant le réseau de partisans dans Adjamé, l’un des bastions pro-Ouattara d’Abidjan.

Les pro-Gbagbo se répandent pour rançonner et tuer

Depuis le début de la semaine, la chape de plomb qui recouvrait Abidjan semble voler en éclats. Les pro-Gbagbo se répandent, armés, dans les quartiers pour rançonner et tuer. De leur côté, les pro-Ouattara sont passés de la peur à la lutte.

« Nous sommes obligés de nous réveiller. C’est une question de survie. Nous n’avons plus peur. Nous sommes maintenant prêts à nous sacrifier », assure Ali, depuis Abobo, le principal bastion pro-Ouattara de la capitale ivoirienne.

Mercredi 2 mars, il a « cassé des fagots de bois pour brûler les corps de 50 de nos frères qui sont tombés en début de semaine sous les balles des Jeunes patriotes », la milice pro-Gbagbo de Blé Goudé.

« Nous avions déposé leurs corps au bord de l’autoroute, à cause de l’odeur. Jeudi 3 mars, nous avons dû les brûler, car nous n’avions pas d’endroits où les enterrer. Après avoir été obligés à faire cela, nous sommes prêts à tomber sous les balles. »

«  Deux autres Français ont été agressés »

Jeudi 3 mars, Abidjan était pleine de bruits de morts et de violences. À Yopougon, fief des pro-Gbagbo, quatre militants pro-Ouattara ont été ligotés. « On a entouré chacun d’un pneu auquel on a mis le feu. ils sont morts brûlés », raconte Ibrahim.

Des quartiers populaires à celui des affaires au Plateau, en passant par la zone 4 où vivent des Français, les récits d’exactions se multiplient. Elles sont le fait de jeunes armés qui montent des barrages multiples dans la ville, arrêtant les voitures sous prétexte de contrôles.

Un Français témoigne : « Le pouvoir a donné des kalachnikovs à des gamins depuis le début de la semaine. Ils s’en servent pour rançonner, voire tuer. Les bilans officiels de morts sont très sousestimés. » « Il y a quelques jours, un membre de l’ambassade de France a été très sérieusement molesté. Deux autres Français ont été agressés », rapporte un observateur étranger. Il explique que les « jeunes qui tiennent les barrages sont beaucoup plus agressifs qu’en 2004, lors de la dernière vague d’hostilités envers les Français ».

« La situation peut évoluer très rapidement »

Pour l’instant, le personnel « non essentiel » de l’ambassade de France n’est pas rapatrié, mais « la situation peut évoluer très rapidement », confiait le même observateur, qui s’interrogeait aussi sur la réouverture du collège français Jacques-Prévert. Ces partisans pro-Gbagbo ne semblent plus être des Jeunes patriotes.

« Recrutés parmi les jeunes sans emplois, ils ont été formés depuis décembre par le pouvoir et lâchés dans les rues. Ils sont mus par l’appât du gain, pas par des convictions politiques », estime l’observateur.

« Gabgbo a trahi la jeunesse »

À Abobo, Ali considère qu’il est temps de faire cesser cette peur : « Gabgbo est en train de rendre idiote une génération. Il a trahi la jeunesse. » Ali compte sur son combat et celui de ses « frères ». Il n’attend plus grand-chose de l’Hôtel du Golf,où vivent retranchés Alassane Ouattara et son gouvernement.

« Ils ne nous prenaient pas au sérieux. Aujourd’hui, nous luttons pour notre survie. Cela donne plus de force que de lutter pour ses intérêts. Si Alassane Ouattara veut faire de la politique, il n’a qu’à en faire. Nous, nous allons finir par arracher les kalachnikovs de ces jeunes fous. »

La guerre de la rue semble donc engagée à Abidjan. Elle fait fuir des milliers d’habitants des quartiers exposés à la violence, comme Abobo, Koumassi et Yopougon. Ces familles trouvent refuge chez des proches ou dans des missions religieuses de la ville, mosquées comme églises. Les autres restent terrés chez eux, pour découvrir des morts au petit matin.

Les partisans d’Alassane

Les partisans d’Alassane Ouattara ne semblent plus attendre grand-chose de l’étranger. Les États voisins de la Cedeao n’ont plus l’air décidés à prendre les armes pour installer le président qu’ils reconnaissent.

L’Union africaine vient de décider de repousser d’un mois ses recommandations de sortie de crise. Dans la capitale ivoirienne, les forces de l’Onuci sont la cible régulière des partisans de Laurent Gbagbo. Les regards se tournent au nord, vers les Forces nouvelles pro-Ouattara, « clairement prépositionnées pour une descente vers le sud du pays », estime un observateur.

La guerre économique est lancée

Pendant ce temps, la guerre économique lancée par Alassane Ouattara pour étouffer le régime de son rival porte des fruits. Mais ils sont amers pour la population ivoirienne. L’essence commence à manquer.

« Les camions-citernes hésitent à sortir. Les forces de sécurité sont servies en premier dans les stations ouvertes », constate un habitant d’Abidjan. L’interdiction des exportations de cacao semble respectée.

Mais « le clan Gbagbo aurait saisi une partie des stocks de cacao des ports de San Pedro et Abidjan. Il cherche à les revendre et à les faire sortir par bateau », confie cet habitant. Le port d’Abidjan, touché par l’embargo européen, est pratiquement vide. Les banques sont fermées, depuis que la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a décidé d’arrêter les compensations entre établissements.

« Chaque jour, des petites entreprises ferment »

« Il n’y a plus de liquidités dans les distributeurs. Les chèques ne peuvent pas être touchés. Chaque jour, des petites entreprises sont obligées de fermer. Bien souvent, les employés ne peuvent plus sortir des quartiers pour aller travailler », explique cet entrepreneur d’Abidjan. Ali, comme Ibrahim, veut croire à un « scénario à la tunisienne ».

Les téléphones de l’Hôtel du Golf répondent rarement. Alors, les Ivoiriens investissent les réseaux sociaux sur Internet et communiquent, eux aussi, via Facebook. Jeudi 3 mars, on a tiré sur des femmes aux mains nues. Ali comme Ibrahim ne veulent pas qu’elles soient mortes pour rien.
Pierre COCHEZ:la croix  

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