dimanche 13 mars 2011

L'affairisme du clan Zuma ronge l'Afrique du Sud

L'Afrique du Sud rongée par l'affairisme du clan Zuma

03/03/2011 | Mise à jour : 12:17
Le chef de l'État français, Nicolas Sarkozy, et son homologue sud-africain, Jacob Zuma, mercredi, dans la cour du Palais de l'Élysée.
Le chef de l'État français, Nicolas Sarkozy, et son homologue sud-africain, Jacob Zuma, mercredi, dans la cour du Palais de l'Élysée. Crédits photo : PHILIPPE WOJAZER/REUTERS

Le président sud-africain, qui a été reçu ce mercredi par Nicolas Sarkozy, est en visite d'État à Paris.

De Johannesburg.
Située à une trentaine de kilomètres à l'est de Johannesburg, Springs se vantait jadis d'avoir la plus grosse zone de production d'or au monde. Mais la perle des années 1930 est tombée en désuétude. Les rares magasins encore ouverts dans la banlieue minière sont ceux qui revendent pour une bouchée de pain les meubles des ouvriers au chômage. Au bout de l'avenue Grootvlei, la société Aurora, qui faisait la fierté du quartier, est en faillite. Ses portes sont fermées depuis des mois. À l'église du coin de la rue, les syndicats distribuent des sacs de nourriture aux familles de travailleurs.
Si cette société minière en faillite attire l'attention des Sud-Africains, c'est parce qu'elle appartient à un neveu du chef de l'État sud-africain, Jacob Zuma. Considéré comme responsable de la banqueroute, Khulubuse Zuma n'a pas payé ses employés depuis un an. L'ancien patron de taxi est pourtant devenu millionnaire. Il a connu une ascension fulgurante depuis l'élection de son oncle à la présidence du pays, en 2009. Il n'est pas le seul à s'être rapidement enrichi. Plus de 200 sociétés sont, de près ou de loin, associées à la famille Zuma. Enfants, cousins, femmes et fiancées du président font aujourd'hui des affaires grâce au patronyme magique.

Dix-neuf voitures de sport 

Dix-sept ans après l'accession de l'ANC (Congrès national africain) au pouvoir politique, dans l'une des sociétés les plus inégales au monde, la collusion entre intérêts publics et privés choque tous les Sud-Africains, toutes tendances politiques confondues.
«Khulubuse Zuma possède dix-neuf voitures de sport. Il vient de dépenser pour plus de 7000 euros rien qu'en alcool dans un restaurant ! Comment peut-il avoir un train de vie aussi luxueux alors que nous sommes obligés de nourrir ses travailleurs? C'est inacceptable. Nous sommes d'autant plus déçus qu'il est protégé politiquement», explique Gidéon Du Plessis. Le responsable du syndicat Solidariteit (Solidarité) accuse la direction d'Aurora d'avoir non seulement pillé la mine en revendant l'outil de production mais d'avoir aussi détourné l'argent des retraites. Dans une lettre adressée au président Zuma le 31 mars 2010, le secrétaire général du syndicat attirait l'attention sur la gabegie et la corruption qui a mené la société Aurora à la banqueroute.
«Il faut le voir pour le croire», c'est ce que répètent désormais bien des Sud-Africains devant la taille toujours plus importante du patrimoine économique et financier des membres de la famille Zuma. Personne n'imaginait qu'un président autodidacte, dont l'image communisante était si proche du peuple, laisserait se développer autour de lui une toile d'araignée capitaliste. Pourtant, tout le monde s‘est pris au jeu. Même ses épouses, Nompumelelo ou Tobeka, prêtent désormais leurs noms aux conseils d'administration d'entreprises de mode ou de bâtiment. Les «fiancées» semblent aussi profiter du passe-droit présidentiel. Sonono Khoza, la fille d'un magnat du football à qui Jacob Zuma a fait un enfant illégitime, se sert de ses connexions pour entrer en affaires.

Golden boy de la tribu

«Jacob Zuma n'a jamais rien dit sur la question. Sa famille, d'ailleurs, n'est pas homogène. Chacun entre en business selon son milieu ou ses moyens», explique Stefans Brummer, journaliste enquêteur au journal hebdomadaire Mail and Guardian. «En fait, il semblerait même qu'avec le temps, ils pourraient se retrouver en compétition les uns avec les autres. Car il faut quand même admettre qu'ils ne sont pas tous égaux en affaires. Certains Zuma sont bien meilleurs que d'autres…»
Tous effectivement ne font pas figure de mauvais gestionnaires. Duduzane Zuma, fils du troisième mariage de Jacob Zuma avec sa femme Kate (qui s'est suicidée en 2000), est présenté comme le «golden boy» de la tribu. Quand, en août 2010, le géant minier ArcelorMittal cède ses parts sud-africaines à Imperial Crown Trading, le pays tout entier découvre que le fils du président a pris une option sur une marche de 900 millions d'euros. Le jeune homme de 28 ans, fondateur de Mabengela Investments, détient déjà un portefeuille minier très impressionnant pour son âge, de l'uranium et bien d'autres intérêts…
«Vous ne trouverez rien sur moi. Pas même une photo, et surtout pas de sex video!», précise avec humour Duduzane Zuma au Figaro. Aussi charmeur que son père, Duduzane est loin d'être aussi exubérant. Il est de ces personnages que l'on ne voit jamais danser en public. L'enfant prodige a compris que, pour prospérer, il lui fallait garder secrète sa vie privée. Si la presse locale révèle qu'il roule en Porsche 911 turbo (d'une valeur de 200.000 euros) et qu'il vit dans un manoir de la banlieue nord de Johannesburg (estimé à 400.000 euros), il n'a immatriculé à son nom qu'une petite Volkswagen de 2005 et une moto de marque Harley Davidson relativement modeste.
«Pendant des années, mon père est allé de procès en procès», raconte-t-il en faisant allusion tant aux différentes inculpations de corruption de son ex-bras droit qu'aux allégations de viol dont il a été accusé et acquitté. «À ce moment-là, c'était très difficile pour nous. Impossible de poser candidature à un quelconque emploi. Nous étions exclus et traités comme des lépreux», précise-t-il, pour rappeler que les temps n'ont pas toujours été aussi roses. Sur les contacts privilégiés qu'il entretient désormais à la présidence, le fils Zuma assure qu'il «n'a jamais reçu un centime du gouvernement».
Des droits aux privilèges, il n'y a qu'un pas. Duduzane et ses partenaires le franchissent allégrement. Il est au bord d'obtenir l'agrément du gouvernement sud-africain pour construire une usine sidérurgique avec une société indienne. Il est également en pole position pour participer à la rénovation des voies ferrées sud-africaines avec une société chinoise dont le total est estimé à 55 milliards d'euros. Ce nouveau marché serait en partenariat avec la famille Gupta, des hommes d'affaires indiens proches de Jacob Zuma et partenaires de la première heure tant de Duduzane que de Duduzile.
Aucune loi en Afrique du Sud n'oblige Jacob Zuma à dévoiler quoi que ce soit sur les investissements économiques et financiers des membres de sa très grande famille. Mais, sous la pression de l'opinion publique, le chef de l'État sud-africain devra peut-être un jour rendre des comptes.



Les «freedom fighters» ont remplacé la «kalach» par la calculatrice

Dans les couloirs de l'ANC (Congres National Africain), les langues peu à peu se délient. «Nous avons pris un certain nombre de décisions lors de notre dernière conférence de Polokwane. L'une d'entre elles est que le grand capitalisme ne doit plus régir notre pays. Et malgré cela, on s'aperçoit que quand ce n'est pas la famille Gupta qui vient nous recoloniser, ce sont les enfants du président qui emportent les marchés publics. Ce n'est pas très bon signe », confie à la presse locale un membre de l'ANC.
Déjà très divisés sur l'efficacité du BEE (Black Economic Empowerment), ensemble de mesures censées aider la majorité noire a accéder au pouvoir économique, certains Sud-Africains comme David Masondo (président de la Ligue de la jeunesse communiste) évoquent désormais le ZEE (Zuma Economic Empowermement). Les partisans du président répondent aux critiques en évoquant des «complots politiques» ou simplement «de la pure jalousie».
Dans un pays ou les «freedom fighters» (combattants de la liberté) ont remplacé la kalachnikov par la calculatrice, la compétition est effectivement ardue. Si Duduzane Zuma et ses partenaires indiens n'avaient pas emporté le contrat d'ArcelorMittal, d'autres membres du parti au pouvoir l'auraient fait à sa place.

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