vendredi 11 mars 2011

Gbagbo Dégagez, y’a rien à négocier !

Côte d’Ivoire. M. Gbagbo Dégagez, y’a rien à négocier ! (2/2)

Tant que l’on considérera Gbagbo comme un président de la République « sortant », un chef d’État « sortant », et non pas comme un « chef mafieux », il ne faudra pas s’étonner qu’il ne se passe rien d’autre que des assassinats.


La question que l’on me pose le plus souvent concernant Laurent Gbagbo est celle de sa motivation. En substance, me dit-on, que peut-il espérer s’il finissait par lasser Alassane Ouattara, la « communauté africaine », la « communauté internationale » ? Pense-t-il un seul instant que la Côte d’Ivoire puisse, sous son autorité, redevenir ce qu’elle était ? Comment imagine-t-il son devenir politique et économique, espère-t-il se refaire une virginité ? Bonnes questions (qui valent, aussi, pour Kadhafi en Libye). Sauf que mes interlocuteurs les posent en prenant en compte un contexte qui n’est pas celui dans lequel évolue Gbagbo. Ils analysent l’homme en tant que président de la République « sortant », chef d’État « sortant ». Jamais comme un « dictateur ». Dans l’édition de ce matin (jeudi 10 mars 2011) du quotidien Le Figaro, un long papier signé Anne Cheyvialle était consacré à « l’argent des dictateurs déchus ». 7 milliards, ce serait l’estimation en dollars de la fortune familiale de Laurent Gbagbo. 7 milliards pour Gbagbo contre 5 milliards pour Ben Ali, 15 milliards pour Moubarak et entre 20 et 60 milliards pour Kadhafi. Le « socialiste » Gbagbo serait ainsi devenu un formidable capitaliste ; enfin, plus exactement un « roi de la pègre », un « chef mafieux ». Selon l’auteur de l’article ce serait une estimation du journal suisse Le Matin : 3,35 milliards pour Laurent et 2,49 milliards pour Simone. L’article ajoute : « Mais l’essentiel de la fortune de Gbagbo […]aurait quitté la Suisse pour des pays moins exposés, notamment l’Inde, l’Iran, le Liban et l’Afrique du Sud ».

Belle performance pour le petit prof. Qui a fondé sa notoriété politique, voici vingt et un ans, sur la dénonciation des « milliardaires malhonnêtes et honnêtes » du PDCI (dont quelques uns, parmi les « malhonnêtes », sont devenus des proches de Gbagbo, à commencer par Laurent Dona Fologo). Gbagbo est au pouvoir pour s’enrichir ; outrageusement. Enrichir ses femmes et son entourage plus outrageusement encore. C’est dire que tout le reste, les élections, le développement économique et social, la promotion de la femme, la scolarisation des enfants, la croissance économique du pays, etc., tout le reste, il n’en a absolument rien à foutre. Rien de rien. Alors, bien sûr, 7 milliards de dollars valent bien la mort de quelques femmes et de quelques jeunes filles pour qui 1.000 francs CFA (environ 1,50 euro) c’est déjà de quoi vivre ! 7 milliards de dollars cela vaut bien quelques arrangements avec les idéologies (politiques) et la morale (religieuse). Et si les « socialistes » devront un jour faire le ménage chez eux, il faudra que les « évangéliques » aussi donnent un sérieux coup de balai s’ils veulent que leur « enseignement » ait une quelconque crédibilité (sauf, bien sûr, celle de s’enrichir).

En un temps où la dénonciation des « dictatures » et la glorification des « révolutions » sont devenues des activités médiatiques quotidiennes, il est temps de dire, en ce qui concerne la Côte d’Ivoire, les choses telles qu’elles sont : « Gbagbo dictateur ». Mais pas seulement ; ceux qui veulent nous faire croire que c’est une évolution dramatique, l’aboutissement d’une crise politique majeure (eh, les « socialos », c’est de vous que je parle) qui a conduit Gbagbo à devenir ce qu’il est dans une perspective « souverainiste » et « anti-impérialiste », nous prennent pour des « cons ». L’objectif de Gbagbo et de son clan, c’est de piquer un maximum de pognon dans un minimum de temps. 7 milliards en dix ans, c’est quand même pas mal!

Si « l’Afrique des présidents » (autrement dit l’Union africaine) tolérait la persistance de Gbagbo au pouvoir à Abidjan, ce serait le retour à « l’Afrique des chefs » et des « peuples esclaves ». Non pas que les peuples africains soit « déchaînés », loin de là, mais il y a un mouvement général qui va dans le sens de plus de liberté et plus de démocratie (même si celle-ci est, pour une part, illusoire) et qui s’oppose à un mouvement où l’enrichissement de quelques uns résulte de l’appauvrissement de tous les autres et des connexions entre les « politiques » et les « mafieux ». La tendance, aujourd’hui, en Afrique est à la montée en puissance des « États mafieux » ou « quasi mafieux ». La liste s’allonge. Et c’est dans ce cadre-là qu’il faut faire entrer la Côte d’Ivoire de Gbagbo. C’est pourquoi tout ce que la « communauté africaine » ou la « communauté internationale » pourront dire (dès lors que, par ailleurs, elles ne font rien) sera sans impact sur le comportement de Gbagbo. « Rien à foutre ». Il l’a dit tout comme il avait dit, à la veille de la présidentielle, « j’y suis, j’y reste » : « Y’a rien à négocier ».

Tant que l’on considérera Gbagbo comme un président de la République « sortant », un chef d’État « sortant », et non pas comme un « chef mafieux », il ne faudra pas s’étonner qu’il ne se passe rien d’autre que des assassinats, des trafics en tous genres, des dénégations de ce chacun constate sur le terrain. Gbagbo ne fonctionne pas dans le même système qu’Alassane Ouattara, les chefs d’État du « panel », les responsables de l’UA. C’est justement de ce système qu’il entend se défaire car il entrave sa liberté d’action, autrement sa liberté de corruption. Avec lui, ce n’est pas « un autre monde est possible », c’est « Apocalypse now » !

En d’autres temps, le comportement de Gbagbo aurait été jugé inacceptable. Immédiatement et globalement. Aujourd’hui, chacun tergiverse. Les morts s’ajoutent aux morts et, malheureusement, ce n’est pas cela le pire ; le pire, ce sont les dérives d’un système « anti-institutionnel » auquel les États africains et les États « occidentaux », mais tout autant les multinationales que les groupes industriels, ont largement prêté la main. « Laurent Gbagbo doit partir ! », affirme, aujourd’hui, dans Le Monde (daté du 11 mars 2011), un « collectif » de personnalités africaines et « africanistes ». Il s’agissait, surtout, de ne pas lui permettre d’accéder au pouvoir et, une fois au pouvoir, de venir lui « cirer les pompes » et d’accepter, chaque fois, l’inacceptable (Venance Konan, premier signataire de l’appel : « Laurent Gbagbo doit partir », est quand même l’auteur du quatre pages de « publi-information » paru dans Le Parisien le jeudi 17 avril 2003, qui, sous le titre « On a assassiné la démocratie » présente Gbagbo comme le « gentil » et Ouattara comme le « méchant »). Il ne suffit pas de sauter à pieds joints toute la journée en criant que Gbagbo doit partir, il faut avoir conscience, dire et écrire, qu’il n’a pas l’intention de quitter le pouvoir quels que soient les moyens de pression mis en œuvre. Ce qui pourrait perturber un « chef d’État » ne peut pas perturber un « chef mafieux » qui n’a d’autres préoccupations que de faire « tourner sa boutique ».

Gbagbo l’a fait dire par son « ministre des Affaires étrangères », Alcide Djédjé : il dispose de « sept alliés africains » : Afrique du Sud, Angola, Ouganda, RDC, Gambie, Guinée équatoriale, Ghana. Djédjé a ajouté : « Il y en a qui ne se manifestent pas ouvertement, mais qui ne nous soutiennent pas moins », faisant ainsi allusion, ont jugé les commentateurs, au Zimbabwe. Je note au passage qu’aucun des responsables de ces Etats n’est venu confirmer cette assertion ; et je laisse aux lecteurs le soin de juger qui, parmi ces chefs d’Etat, ils aimeraient avoir à la tête de leur propre pays : Zuma ? Dos Santos ? Museveni ? Kabila ? Jammeh ? Nguema ? Mills ? Mugabe ?

Quand on joue avec un tricheur, il ne faut pas penser qu’on va l’amener à respecter la règle du jeu ; ou qu’en jouant à un autre jeu, il va en accepter cette fois la règle. Il faut purement et simplement l’exclure du jeu. Bien sûr, c’est plus difficile quand les arbitres sont, eux aussi, des tricheurs ! Mais on n’est pas obligé de confier l’arbitrage à des hommes « sans foi ni loi ». Enfin, à condition d’en avoir d’autres sous la main ! C’est là tout le problème.

Jean-Pierre Béjot, éditeur-conseil mis en ligne Diomandé Adama.


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